Paul ELUARD
(Poésie et Vérité- 1942)
LIBERTE
Sur mes cahiers d'écolier |
Sur mon pupitre et les arbres |
Sur le sable sur la neige |
J’écris ton nom |
Sur toutes les pages lues |
Sur toutes les pages blanches |
Pierre sang papier ou cendre |
J'écris ton nom |
Sur les images dorées |
Sur les armes des guerriers |
Sur les couronnes des rois |
J'écris ton nom |
Sur la jungle et le désert |
Sur les nids sur les genêts |
Sur l'écho de mon enfance |
J'écris ton nom |
Sur les merveilles des nuits |
Sur le pain blanc des journées |
Sur les saisons fiancées |
J'écris ton nom |
Sur tous mes chiffons d’azur |
Sur l’étang soleil moisi |
Sur le lac lune vivante |
J’écris ton nom |
Sur les champs sur l’horizon |
Sur les ailes des oiseaux |
Et sur le moulin des ombres |
J’écris ton nom |
Sur chaque bouffée d’aurore |
Sur la mer sur les bateaux |
Sur la montagne démente |
J’écris ton nom |
Sur la mousse des nuages |
Sur les sueurs de l’orage |
Sur la pluie épaisse et fade |
J’écris ton nom |
Sur les formes scintillantes |
Sur les cloches des couleurs |
Sur la vérité physique |
J’écris ton nom |
Sur les sentiers éveillés |
Sur les routes déployées |
Sur les places qui débordent |
J’écris ton nom |
Sur la lampe qui s’allume |
Sur la lampe qui s’éteint |
Sur mes maisons réunis |
J’écris ton nom |
Sur le fruit coupé en deux |
Dur miroir et de ma chambre |
Sur mon lit coquille vide |
J’écris ton nom |
Sur mon chien gourmand et tendre |
Sur ses oreilles dressées |
Sur sa patte maladroite |
J’écris ton nom |
Sur le tremplin de ma porte |
Sur les objets familiers |
Sur le flot du feu béni |
J’écris ton nom |
Sur toute chair accordée |
Sur le front de mes amis |
Sur chaque main qui se tend |
J’écris ton nom |
Sur la vitre des surprises | |
Sur les lèvres attentives | |
Bien au-dessus du silence | |
J’écris ton nom |
Sur mes refuges détruits |
Sur mes phares écroulés |
Sur les murs de mon ennui |
J’écris ton nom |
Sur l’absence sans désir |
Sur la solitude nue |
Sur les marches de la mort |
J’écris ton nom |
Sur la santé revenue |
Sur le risque disparu |
Sur l’espoir sans souvenir |
J’écris ton nom |
Et par le pouvoir d’un mot |
Je recommence ma vie |
Je suis né pour te connaître |
Pour te nommer |
LIBERTE |
PAUL ELUARD
Capitale de la douleur
- Elle est debout sur mes paupières
Et ses cheveux sont dans les miens,
Elle a la forme de mes mains,
Elle a la couleur de mes yeux,
Elle s’engloutit dans mon ombre
Comme une pierre sur le ciel.
- Elle a toujours les yeux ouverts
Et ne me laisse pas dormir.
Ses rêves en pleine lumière
Font s’évaporer les soleils
Me font rire, pleurer et rire,
Parler sans avoir rien à dire.
PAUL ELUARD
Air vif
(Derniers poèmes d’amour, 1963)
J’ai regardé devant moi
Dans la foule je t’ai vue
Parmi les blés je t’ai vue
Sous un arbre je t’ai vue
Au bout de tous mes voyages
Au fond de tous mes tourments
Au tournant de tous les rires
Sortant de l’eau et du feu
L’été l’hiver je t’ai vue
Dans ma maison je t’ai vue
Entre mes bras je t’ai vue
Dans mes rêves je t’ai vue
Je ne te quitterai plus.
PAUL ELUARD
Couvre-feu
Que voulez-vous la porte était gardée
Que voulez-vous nous étions enfermés
Que voulez-vous la rue était barrée
Que voulez-vous la ville était matée
Que voulez-vous elle était affamée
Que voulez-vous nous étions désarmés
Que voulez-vous la nuit était tombée
Que voulez-vous nous nous sommes aimés.
PAUL ELUARD
Et un sourire
(Le Phénix, 1951)
La nuit n’est jamais complète
Il y a toujours puisque je le dis
Puisque je l’affirme
Au bout du chagrin une fenêtre ouverte
Une fenêtre éclairée
Il ya toujours un rêve qui veille
Désir à combler faim à satisfaire
Un coeur généreux
Une main tendue une main ouverte
Des yeux attentifs
Une vie à se partager.
PAUL ELUARD
Nous deux
(Derniers poèmes d’amour, 1963)
Nous deux nous tenant par la main
Nous nous croyons partout chez nous
Sous l’arbre doux sous le ciel noir
Sous tous les toits au coin du feu
Dans la rue vide en plein soleil
Dans les yeux vagues de la foule
Auprès des sages et des fous
Parmi les enfants et les grands
L’amour n’a rien de mystérieux
Nous sommes l’évidence même
Les amoureux se croient chez nous.
PAUL ELUARD
Je mènerai mon enfant
Je mènerai mon enfant partout où je n'ai pas été.
Avec lui sur du marbre blanc, dans les palais d'orient
Je rirai aux gens de couleur
Et aussi sous le soleil clair qui éclaire toute la Terre
Pour ceux qui n'ont jamais pu faire tout ce que j'ai fait,
Pour ceux qui n'ont pas vu
Tout ce que j'ai vu.
LOUIS ARAGON
Le Roman Inachevé (1956)
- Il n’aurait fallu
Qu’un moment de plus
Pour que la mort vienne
Mais une main nue
Alors est venue
Qui a pris la mienne
- Qui donc a rendu
Leurs couleurs perdues
Aux jours aux semaines
Sa réalité
A l’immensité
Des choses humaines
- Moi qui frémissais
Toujours je ne sais
De quelle colère
Deux bras ont suffi
Pour faire à ma vie
Un grand collier d’air
- Rien qu’un mouvement
Ce geste en dormant
Léger qui me frôle
Un souffle posé
Moins une rosée
Contre mon épaule
- Un front qui s’appuie
A moi dans la nuit
Deux grands yeux ouverts
Et tout m’a semblé
Comme un champ de blé
Dans cet univers
- Un tendre jardin
Dans l’herbe où soudain
La verveine pousse
Et mon cœur défunt
Renaît au parfum
Qui fait l’ombre douce